LZE /Kevin Muhlen/
Texte écrit pour le communiqué de presse de l'exposition personnelle Lazarus, Zombie, Elvis, 2016
English below
Il y a maintenant plus d'une dizaine d'années qu'Elodie Lesourd a fait ses débuts dans le milieu de l'art avec ses sujets et motifs inspirés de la culture rock. Instruments rock – principalement des guitares, des basses ou encore des batteries –, imagerie sombre, parfois même macabre, logos de groupes (black) métal, couvertures de disques ; autant de références directes à la culture susmentionnée qui occupaient jusqu'à présent le premier plan du travail artistique d'Elodie Lesourd. L'artiste oscille entre sa peinture hyperrockaliste et une pratique conceptuelle toujours axée autour de cette même culture populaire qui l'accompagne depuis son adolescence. Cette référence est pour elle le point de départ d'une exploration des signes et symboles, de l'image et de sa construction, de l'art aussi.
Après un premier regard aux œuvres composant sa nouvelle exposition intitulée Lazarus, Zombie, Elvis (LZE) serait-il peut-être plus opportun de parler de ces principes et références au passé tant les œuvres regroupées dans cette exposition semblent évoluer dans un registre très différent et plutôt éloignées de ce qui paraissait jusqu’à présent être le fer de lance d'Elodie Lesourd ?
Point de noir, point de logos de groupes ou encore d’instruments. Au contraire, on y retrouve des fleurs peintes aux couleurs chatoyantes et criardes, des dessins d’animaux ou encore des compositions chromatiques complexes orientées vers un style plus géométrique. Certes l'on retrouve encore quelques références du genre ici et là (par exemple la référence à Elvis dans le titre), mais la question qui se pose intuitivement à la découverte de ce nouveau corpus d'œuvres d'Elodie Lesourd est : Où est le rock ?
Elodie Lesourd, en pleine maîtrise de son concept initial et ne laissant rien au hasard, provoque volontairement une telle interrogation. C'est justement sur ce doute concernant la cohérence conceptuelle de son travail et sa continuité brisée qu'Elodie Lesourd s'appuie pour déployer tout le potentiel intrinsèque de ses questionnements artistiques.
Son principe, une fois défini, Lesourd a dû l'apprivoiser et s'y mesurer petit-à-petit. Ainsi ses premières œuvres, notamment ses premières peintures hyperrockalistes, portaient les attributs « rock » tels des protagonistes principaux récurrents et clairement identifiables. Ce n’est que peu à peu qu’elle a commencé à s'émanciper du visuel purement musical pour s’aventurer vers des cadrages plus resserrés, des vues de détails ou encore des références indirectes. Ceci donna naissance à une peinture aux motifs plus abstraits dans laquelle le rappel au rock se faisait dans un enchevêtrement subtil de références pointues. Progressivement le rock s'est donc fait discret, mais cela uniquement en surface.
N.I.B. et Walking Through The Land of Falsity, deux œuvres hyperrockalistes de 2016, reprennent cette idée précédemment abordée d'une abstraction créée par le cadrage photographique des œuvres citées. Les prises de vue respectives choisies par Lesourd ne montrent chacune qu'un détail des installations des artistes James Van Arsdale et Konrad Smolenski. Les œuvres originales, toutes deux des installations, sont dénaturées par la photographie. Elodie Lesourd part de ce constat pour ses peintures. Ainsi N.I.B. devient une composition colorée abstraite formée de lignes et de courbes, tandis que Walking Through The Land of Falsity reste plus géométrique de par les éléments de haut-parleurs quelque peu identifiables.

Vue de l'exposition Lazarus, Zombie, Elvis, photo R. Fanuele
IV Moon Domine et Lust Magic Obscure poursuivent une récente exploration des motifs floraux à référence rock. On se souviendra d’une première digression florale apparue avec la peinture All The Flowers Sing in D Minor en 2015. Les deux tableaux représentent des gros plans de fleurs de tabac exposées à une lumière violette fluorescente. L'artiste cité est Nikolaus Gansterer avec son installation The Eden Experiment II. Il y expérimentait la manière dont deux fleurs poussent sous l'influence d'une musique différente : du classique – Bach – pour l'une, du black métal cubain pour l'autre. Ici de même : ni le son, ni son émetteur ne se manifestent dans l'image mais ils font partie intégrante de l'œuvre citée.
La musique reste donc invisible certes, mais les peintures n'en sont pas moins hyperrockalistes car elles questionnent – selon les principes établis par Elodie Lesourd dans ce volet de son travail – l'archivage d'une œuvre, de surcroît partiellement sonore. La boucle « rock » se clôture par les titres des tableaux repris de chansons de groupes métal.
Il semble également s'opérer une fusion des deux volets jusqu'à présent menés relativement en parallèle par Elodie Lesourd. Là où précédemment l'hyperrockalisme évoluait de manière très cadrée et majoritairement indépendante des autres œuvres, elle estompe, dans son exposition LZE, subtilement les limites entre ses deux pratiques. Au-delà des motifs peints qui ne sont pas sans rappeler les explorations géométriques de l'artiste, le mode de présentation particulier des peintures IV Moon Domine et Lust Magic Obscure déroge également à la règle. Plus de monstration frontale; les panneaux peints de motifs floraux sont pris dans une structure métallique et présentés à plat tels de réels spécimens dans un musée d'histoire naturelle. Lesourd cherche certes à se rapprocher de l'expérience de l’œuvre d'origine, mais elle évoque également par cette mise en scène le caractère analytique et le regard critique qu'elle porte sur l'art en reproduisant de manière hyper détaillée et précise des photographies de documentation d'œuvres existantes.
Le rapprochement entre musique, art et sciences naturelles se retrouve dans d'autres œuvres présentes dans l'exposition. Diagonal Science Series est une série de neuf œuvres composites formées d'illustrations d'animaux réalisées par l'artiste il y a plus de vingt ans ou encore de photographies de fleurs, également de Lesourd, associées à des stickers promotionnels prélevés de divers albums rock achetés au fil du temps. Collectionnés et archivés de manière méthodique par Lesourd ces stickers avaient pour but initial de donner des informations quant au contenu du disque et d'orienter l'acheteur dans ses choix. L'artiste crée la rencontre de différentes sortes de taxonomies, mettant en avant le besoin humain de classification et de repères quant aux choses qui nous entourent. Des grilles géométriques – qui ne sont pas sans rappeler les grilles de classification scientifiques ou encore des partitions graphiques de musique – apparaissent sur certaines pièces, conférant à la composition un aspect d'autant plus savant, mais les reliant aussi une fois de plus à des référents de l'histoire de l'art (abstraction géométrique, néoplasticisme, etc.), autre domaine où l'identification et la classification sont de mise. Elodie Lesourd contrebalance cette vision très rigide de l’ordonnancement et de l’étiquetage par un titre renvoyant aux pensées de Roger Caillois sur les « sciences diagonales ».
L'élément animal prend toute sa réalité avec la présence du cuir et des peaux de serpent dans l'exposition. Le cuir se présente de manière bidimensionnelle et sans forme apparente. Toujours dans la lignée des œuvres réalisées antérieurement dans ce même matériau Elodie Lesourd modifie ici radicalement sa technique. Tendues par le passé, les formes proposées – Lesourd y évoque à travers ces trois pièces l'histoire de l'art, la musique et l'histoire naturelle – restent cette fois-ci molles et tombent le long du mur. Associée à l'univers rock d'Elodie Lesourd le matériau devient symbole, mais en même temps l'univers animalier omniprésent dans LZE s'incarne sous sa forme écorchée et transformée par l'être humain. Les peaux de serpent par contre sont des mues naturelles, rejetées par l'animal même. Lesourd les peint à la peinture de carrosserie et les assemble en une œuvre intitulée I'm Afraid of Americans. Comme à son habitude le titre associé aux motifs et matériaux renvoie à maintes associations allant e.a. de Barnett Newman à David Bowie.
Dans la vitrine Nature Coming Full Circle – partiellement occultée – évoque, de par son titre et ses couleurs, l'idée d'une nature régénératrice et cyclique tandis que l’étendard Vinnland Armour reprend le drapeau d'un territoire utopique. Sa structure en médiators n’est d’ailleurs pas sans rappeler les écailles des peaux de serpent présentes juste en face.
LZE serait-elle une exposition de la mue pour Elodie Lesourd ? Il semble en tout cas s'être opéré un développement et un approfondissement de son travail : là où avant les éléments rock constituaient un garde-corps pour l'artiste, un élément familier – instinctivement placé au premier plan – qui lui permettait d'aborder des questionnements ontologiques complexes autour d'un sujet maîtrisé, aujourd'hui il semblerait qu'elle ait trouvé l'assurance de s’en émanciper pour laisser la place à d'autres motifs tout en persévérant dans sa recherche initiale. Certes ils seront toujours soutenus par la constante qu'est le rock, mais celui-ci peut désormais se faire discret, réapparaître sous une autre forme ou encore disparaître entièrement de l’image.
Lazarus, Zombie et Elvis sont des noms qui pourraient – dans un contexte stéréotypé du travail d’Elodie Lesourd – avoir été repris de chansons ou de noms de groupes, pourtant il en est tout autrement car ces noms proviennent des sciences naturelles, plus précisément des espèces qui dévient de la classification paléontologique standard. Selon Lesourd : « Le principe de classification s’applique à tout genre de champ de la connaissance. » et « La nécessité de nommer les choses est à la base de tout désir de compréhension du monde. » Avec LZE Elodie Lesourd cherche à échapper à ces affirmations et souligne son propre refus d'une classification de son art !

I'm Afraid Of Americans, vue de l'exposition Lazarus, Zombie, Elvis
© Elodie Lesourd
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LZE /Kevin Muhlen/
Written for the press release of the solo show Lazarus, Zombie, Elvis, 2016
Written for the press release of the solo show Lazarus, Zombie, Elvis, 2016
More than ten years ago by now, Elodie Lesourd started to create art with themes and subjects hailing from rock culture. Rock instruments (mainly guitars, basses and drums) or dark, sometimes even macabre images, such as black metal band logos, record sleeves, and other direct references to this subculture have been at the fore of Lesourd’s work until today. The artist alternates between "hyperrockalistic" painting and a conceptual practice that revolves around the same music culture which has accompanied her since adolescence. It was a starting point for her exploration of signs, symbols, images and their composition, as well as of art itself.
After a first look at the works in her new exhibition "Lazarus, Zombie, Elvis" (LZE) would it be appropriate to speak of certain principles and references in the past tense, since these new works appear to tend toward something quite different to what had been at the forefront of Lesourd’s art?
No black, no band logos or instruments appear. Quite the opposite can be seen, such as flowers painted in bright, vibrant colors, animal drawings, or even complex chromatic compositions with quite a geometric tendency. Admittedly, there are some characteristic references, including the name of Elvis in the exhibition title, but one’s gut reaction upon seeing Lesourd’s new work raises a question: Where is the rock music?
In full command of her initial concept and not an artist to leave things to chance, Elodie Lesourd deliberately raises this question. It is precisely the questioning of her work’s conceptual consistency and its interrupted continuation which Lesourd uses to deploy the full potential of her fundamental artistic inquiry.
Lesourd’s driving force, as soon as it could be defined, first had to be tamed and mastered by the artist who also needed time to measure up to her ambition. Her first "hyperrockalistic" paintings depicted clearly recognizable features of rock like recurring protagonists. Only gradually did she begin to leave purely musical imagery to venture to denser compositions, details, or indirect references. This gave rise to finely intertwined specialist references. Rock thereby gradually appeared to become a more subtle presence - but only superficially.
N.I.B. and Walking Through The Land of Falsity, two "hyperrockalistic" works from 2016, return to that idea of abstraction created through cropping photographic images of the cited artworks. The shots chosen by Lesourd show details of installations by the artists James Van Arsdale and Konrad Smolenski. The original artworks, both of which are installations, appear altered through photography. Elodie Lesourd renews her pictorial practice in view of these insights. N.I.B. thus becomes a colored abstract composition of lines and curves, while Walking Through The Land of Falsity appears more angular with the somewhat identifiable loudspeaker details.

Lust Magic Obscure, exhibition view
© Elodie Lesourd
IV Moon Domine and Lust Magic Obscure pursue a recent exploration of floral motifs with references to rock culture. They may recall the first floral detour that appeared in All The Flowers Sing in D Minor in 2015. Each of these two paintings depicts a close-up of tobacco flowers exposed to violet fluorescent light. They cite the installation The Eden Experiment II by Nikolaus Gansterer, in which he explores how two flowers grow differently, depending on the type of music they’re exposed to, be it classical (Bach) for one, or Cuban black metal for the other. As in the cited work, the same is true here: although neither music nor sound emitter can be perceived in Lesourd’s work, they are yet inherent constituents.
Music certainly remains invisible, but these paintings are no less "hyperrockalistic" because, as per the principles established by Lesourd for this part of her project, they question archiving an artwork, which moreover partly consists of sound. Rock music comes a full circle here, given that the works’ titles stem from metal rock songs.
These distinct aspects of her art which Elodie Lesourd had been developing separately seem to be coming together here. While "hyperrockalism" had been evolving with set methods in parallel to her other pieces, Lesourd here appears to subtly blur the boundaries between diverse aspects of her practice. Beyond the way in which the depicted motifs recall her geometric considerations, the pictorial mode of IV Moon Domine and Lust Magic Obscure seems exempt from her past methods. No more frontal depictions; the panels with floral motifs are here contained within metal structures and displayed horizontally as in a museum of natural history. Lesourd certainly intends to render her experience of the original artwork, but she also demonstrates her analytical and art critical considerations about representing documentary photographs of existing artworks and consciously staging their hyperrealistic depictions.
The connection between music, art, and the natural sciences can also be found in other works in the exhibition. Diagonal Science Series consists of 9 composite paintings which contain animal illustrations that the artist had made more than twenty years ago, or photographs of flowers, also taken by Lesourd, combined with promotional stickers from various rock albums purchased over time. Methodically collected and archived Lesourd initially meant these stickers to provide information regarding the record contents to help buyers in their selection. The artist has created an encounter of multiple types, putting forth the human need for categories and referential markings for things around us. Geometric grids, which are reminiscent of scientific category charts or graphic music notation, appear in certain works, endowing the composition with an even more knowledgeable feel, which also links them to references in art history (such as geometric abstraction, neoplasticism, and more) another area in which identification matters. Elodie Lesourd offsets this very strict approach to organizing and labelling with a title that points to Roger Caillois’ thoughts on "diagonal sciences."
The animal component takes on its full force with the presence of leather and snake skins in the exhibition. The leather appears in two-dimensional form, without a particular shape. Always in keeping with her earlier works of the same materials, Elodie Lesourd here radically modifies her technique. Previously stretched, the forms used here (Lesourd evokes art history, music, and natural history in these three pieces) now appear limp and drop down alongside the wall. Associated with Lesourd’s world of rock music the material becomes a symbol, and the world of animals ever-present in LZE becomes a raw, transformed embodiment of the human being. Snake skin, however, naturally metamorphoses when shed by the animal itself. Lesourd paints them with car paint and assembles them in a piece entitled I’m Afraid of Americans. As is often the case, the title associated with these motifs and materials brings up manifold associations from Barnett Newman to David Bowie.
In the display case Nature Coming Full Circle, which is partly darkened, the idea of regenerative, cyclical nature emerges thanks to its title and colors, while the flag Vinnland Armour uses a standard of a utopian territory. Its constitution of plectra is not without recalling the snake skin scales just opposite.
Would LZE be an exhibition of Elodie Lesourd’s transformation? In any case, there seems to be an evolution and deepening in her work. There where rock music components provided the artist with a guard rail and a familiar thing - which she had instinctively placed at the forefront - that allowed her to broach complex ontological questions surrounding a subject area she mastered. Today, she seems to have found the confidence to breach these safeguards to make way for other motifs while persevering in her primary quest. They are of course always maintained by rock music as a constant, but this now appears more discretely, emerges in other forms, or altogether disappears from the image.
Lazarus, Zombie, and Elvis are names that could have been - in Elodie Lesourd’s conventional approach so far at least - taken from songs or band names, but such is not the case here. These names stem from the natural sciences, more specifically from the species that appear in typical paleontological classification. According to Lesourd, "The classification principle is applicable to all realms of knowledge," and "the need to name things supplies the basis for every wish to understand the world." With LZE, Elodie Lesourd is looking to depart from these assertions, and she emphasizes her own refusal for her art to be classified.