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Entretien par Gwilherm Perthuis
Paru dans la revue Hippocampe n°4, 2010.

Vous décomposez vos travaux en deux ensembles, comme les deux faces d’un disque, les œuvres « hyperrockalistes » qui représentent en peinture des installations d’artistes empreints de culture rock, puis des installations conceptuelles questionnant les codes, modes, engouements liés à la culture rock. Pourriez-vous décrire ce qui caractérise ces deux faces et les passerelles qui les animent ?
Au travers d’une réflexion sur le statut de l’art, il s’agit pour moi de dévoiler et d’analyser les mécanismes récurrents et profonds d’un système plus complexe qu’il n’y paraît : celui du rock. Selon un travail exigeant et minutieux d’investigation, je tente de dépasser la superficialité de celui-ci afin de révéler ce qui est hermétique. Cette démarche analytique, au frontière de l’ontologie (celle du rock et celle de l’art) se déploie sous deux aspects d’apparences contradictoires. Partageant pourtant la même source conceptuelle et des enjeux similaires, les deux faces caractérisant ma pratique jouent sur deux registres. Si l’hyperrockalisme serait  son pan éminemment esthétique et apparemment immédiat, l’autre pan se définirait quant à lui par une approche sémiotique plus froide, voire abstraite. Les questionnements inhérents à chacune de ces pratiques sont similaires malgré une distinction nette dans leur réception.

Lorsque vous exposez votre travail, comment articulez-vous la présentation de ces deux ensembles d’œuvres ?
Il est important pour moi de confronter ces deux pratiques de manière continue et de ne pas en isoler une par rapport à l’autre. Il n’y a pas de règle quant à la présentation de ces ensembles, tout dépend du moteur discursif qui anime le projet d’exposition. Jouer de la guitare électrique ou acoustique engendre une différenciation qualitative du son mais au final vous pouvez jouer le même morceau. Tout dépend de ce que vous souhaitez jouer.

Elodie Lesourd
Riley Series : Sergent Peppers, 2007 © Elodie Lesourd


Bien que les deux approches soient à la base définies par des enjeux conceptuels, la peinture tient une place importante dans votre confrontation à la culture rock. Est-ce une manière de mettre à distance le sujet en créant des mises en abymes dont la profondeur s’accentue avec le médium peinture ?
Il est vrai que le medium pictural semble être, dans ma pratique, un  vecteur puissant d’analyse. Bien qu’il ne soit pas l’unique outil (gravure sur bois, installations), la peinture permet de questionner le signe, de décortiquer l’image et son devenir, et surtout de se replacer dans une réflexion permanente concernant sa mort. Véhiculant avec elle un passé chargé, il est stimulant de l’utiliser en toute connaissance de cause. Si mon travail produit des mises en abyme par la peinture, il s’agit également, dans une volonté conceptuelle, de mettre la peinture elle-même en abyme. La démarche de réappropriation, quant à elle, conduit, au détour d’un positionnement critique, à une réflexion de l’art sur l’art. Sous couvert d’utiliser l’art pour révéler ce qui est caché dans le rock (qui serait le référent originel), l’art utilise plutôt le rock comme un miroir pour se questionner lui-même. 

Vous semblez d’ailleurs attacher de l’importance à l’histoire de la peinture. Plusieurs pièces sont précisément référencées et renvoient par exemple à Caspar David Friedrich ou à Bridget Riley. En quoi l’histoire de l’art nourrit vos œuvres et votre réflexion sur la musique ? 
Puisant nombre de mes références dans l’histoire de l’art, il s’agit moins de déconstruire le passé,  que de l’utiliser afin de se situer dans un présent. Le référent historique se trouve dès lors, par la musique, recontextualisé. Et le signe issu de la culture populaire trouve, par cette pratique post-moderne de l’utilisation du référent, une nouvelle incarnation. Recycler des concepts issus de l’histoire de l’art permet, dans ce télescopage, de déployer une réflexion analytique. Ce cross-over entre high & low culture légitimise la rencontre aussi improbable entre C.D. Friedrich et le Black Metal que celle de Sol Lewitt avec le rock.