Contrepoints /Judicaël Lavrador/
Extrait
Publié
dans Journal des Eglises, centre d’art contemporain de la ville de Chelles
10/11
On
pourrait le prendre de biais, par la tranche, à revers même puis, certes, de
face. On en fait le tour en tout cas et ce n’est pas anodin — pour un tableau —
que de se retrouver ainsi, dénudé, frêle, pas très costaud, épais seulement de
la largeur millimétrique du médium et presque branlant. Parce
qu’il n’est
adossé à aucun mur: suspendu simplement par des câbles qui descendent du
plafond pour le laisser flotter à deux doigts du sol, ce tableau est fait enfin
de trois panneaux accolés les uns aux autres.
Ce géant We remained all alone (366 × 170 cm),
qui s’étale de toute sa largeur dans l’ancienne église Sainte-Croix, doit donc
s’accommoder de son propre poids, de sa tension et de sa matérialité. Laquelle
empêche de limiter cette œuvre à une peinture, ou d’en parler uniquement comme
d’une peinture. Ce qui se passe à la surface est essentiel, mais aussi ce qui
se passe autour, derrière, au-dessus, et plus encore avant que la peinture ne
s’y applique.

Vue de l'exposition au centre d'art les Eglises, Chelles, photo © Aurélien Mole
Cela vaut
aussi pour cet autre petit tableau The
Things we’ve learnt are no longer enough, niché près du mur, derrière le
premier, et tendu tout aussi serré par des câbles, du sol au plafond ceux-là.
Parler de «tableaux» plutôt que de «peintures»
à propos de ces productions
peintes permet d’en déplacer les enjeux traditionnels: il n’est pas question
tellement de compositions bornées à ce qu’elles dépeignent mais de travaux
conceptuels dont les motivations, la réalisation et la portée excèdent les limites
des images représentées (…)
À peine
une voix, plutôt des toussotements et des raclements de gorge intempestifs. Une pièce sonore semble ranimer, sur un mode ténu et ému, le souffle lointain d’une
présence humaine, celle en réalité d’un chanteur rock hanté par un ami
imaginaire, dont le nom «Boddah» devient celui de cette œuvre aérienne et
solitaire. L’exposition d’Élodie Lesourd travaille donc à la fois à creuser, à
souligner un vide, un écart (celui de l’image à l’œuvre qu’elle documente,
d’un
tableau, suspendu, à son environnement, d’un peintre à son modèle...) tout en
tâchant
de le combler, de rétablir un lien, même défectueux, de filer une
transmission (…)